Promoteurs, syndics et bailleurs tentaculaires… Ce récit n’a pas vocation à taper plus particulièrement sur les uns ou sur les autres – d’autant qu’il existe chez ces acteurs des personnes sincèrement soucieuses de préserver l’intérêt commun de nos copropriétés. Nous pensons néanmoins qu’il faut cesser de ramener ces sujets à des cas isolés alors qu’il s’agit d’un mode de fonctionnement national, parfaitement légal mais qui désavantage d’entrée les copropriétaires individuels.
Raconter ce qu’on ne peut découvrir que de l’intérieur
Je dis « nous » car si c’est moi qui écris aujourd’hui, ces lignes ont été documentées et forgées à plusieurs mains, avec l’aide d’autres membres de conseils syndicaux de résidences neuves voisines. Pour que peut-être un jour – soyons fous – nous et ceux qui suivront n’aient plus à se battre en permanence pour faire respecter leurs droits.
Le développement de ce feuilleton est quelque chose que je n’avais pas anticipé lorsque j’ai démarré un travail de recherche sur nos immeubles neufs de mixité sociale programmée il y a presque deux ans. Au fil du temps, je me suis en effet aperçue que je n’étais pas le témoin d’un dysfonctionnement local mais d’un système organisé.
Fort heureusement, notre bande à nous est bien organisée elle aussi.
Attention, c’est technique !
Notre premier ennemi est probablement la complexité de ces grandes copropriétés, qui décourage un grand nombre d’acquéreurs de s’intéresser à leur fonctionnement. Combien de fois nous entendons nous dire « j’y connais rien » et/ou « j’ai pas le temps » lorsque nous partons à la chasse aux bonnes volontés pour venir renforcer l’équipe du conseil syndical. Mais pensez-vous vraiment que nous y connaissions quelque chose nous-mêmes avant de nous engager dans ce parcours du combattant ? Rarement. Pour la plupart d’entre nous c’est l’occasion qui a fait le larron, même si les plus expérimentés ont pu faire gagner un temps précieux à la communauté. Quant au temps, nous le prenons, certes au détriment de nos autres obligations et occupations, et sans autre avantage que celui d’éviter une dégradation éclair de nos résidences.
La structuration de la copro neuve ou le nerf de la guerre
La « mixité sociale programmée » est en l’objet le procédé qui consiste à fixer par avance la composition sociale du peuplement d’une résidence neuve. Le propos n’est pas ici de débattre de sa pertinence. Nos résidences ont été fabriquées ainsi, nous avons choisi d’y acheter un bien – et pour la moitié d’entre nous environ d’y vivre, la deuxième moitié y ayant investi pour louer.
Pour comprendre ce qui s’y joue, il faut d’abord comprendre comment nos copropriétés ont été organisées par les promoteurs, associés aux investisseurs/bailleurs institutionnels qui leur en ont acheté des parties sur plans. La différence avec les achats des copropriétaires individuels c’est que les achats de ces professionnels aux promoteurs se sont donc faits « en bloc », c’est-à-dire qu’ils ont acquis des parts conséquentes de ces copropriétés mixtes. Le pourcentage minimum des parts détenues par les bailleurs sociaux est dicté par le plan local d’urbanisme, qui impose aux promoteurs de construire un nombre donné de logements sociaux dans toute résidence neuve à partir d’un certain seuil de logements neufs construits. Le reste est affaire de négociations entre les promoteurs et les investisseurs/bailleurs institutionnels, ces derniers achetant le plus souvent pour y créer du logement locatif intermédiaire.
Le saviez-vous ?
La participation des copropriétaires individuels à la mixité :
Si, ramenée à la surface, la vente en bloc rapporte moins aux promoteurs que la vente aux propriétaires individuels, elle leur permet en revanche de sécuriser une partie du financement de l’opération et d’économiser des frais de publicité et de commercialisation.
Le manque à gagner des promoteurs lorsqu’ils vendent en bloc à des bailleurs – par ailleurs subventionnés et/ou bénéficiant de prêts avantageux – va être en partie compensé par les propriétaires individuels. Cette péréquation n’est cependant pas extensible. Pour les ventes en TVA à 5,5 %, soit en moyenne le tiers des logements de nos ensembles, le prix au m2 en 2022 est plafonné à 3 861 €/m2. Pour les vente en TVA à 20 %, dont les acquéreurs sont principalement des investisseurs individuels en Pinel, le plafond de défiscalisation est de 300 000 € et de 5 500 €/m2. Plus prosaïquement, les prix sont surtout dictés par le marché, c’est-à-dire par la capacité financière des acquéreurs prêts à venir habiter ou investir dans nos résidences mixtes : exit le 5 500 €/m2.
Reste alors une marge de manœuvre : le prix des matériaux et des travaux.
Le deuxième point important de l’organisation de ces résidences est leur structure juridique. Dans notre périmètre, elles sont soit réunies en une seule copropriété, soit divisées en bâtiments et locaux commerciaux distincts auxquels s’ajoute une partie qui regroupe les éléments communs à la résidence. Ces éléments peuvent par exemple être le jardin, le parking, le local pour la fibre, le système de chauffage et d’eau chaude sanitaire, ou encore des morceaux de voirie… Dans ce cas, tandis que chaque bloc distinct est géré par son ou ses propriétaires, les éléments déclarés en tant que biens communs à toute la résidence sont gérés par une structure dite « Association Syndicale Libre » (ASL) dont tous les propriétaires sont membres. Les statuts de cette ASL doivent préciser ses règles de fonctionnement et être joints à la demande de permis de construire.
Le saviez-vous ?
Les associations syndicales libres (ASL) :
L’ASL est une personne morale de droit privé dont l’objet est de gérer et d’entretenir des biens et ouvrages d’intérêt commun. Son nom, son siège, son objet et ses règles de fonctionnement sont régis par ses statuts. Elle est administrée par un syndicat composé de membres élus parmi tous les propriétaires des bâtiments inclus dans son périmètre, ou leurs représentants. Tout comme les copropriétés, elles doivent tenir une assemblée générale annuelle. Les ASL de nos résidences sont généralement administrées par un syndic professionnel.
Si on comprend l’utilité des ASL, on en connaît également les dérives : absence de fonctionnement, absence de publication et de mise en conformité des statuts la privant de personnalité juridique et obérant toute capacité d’agir – y compris en cas de travaux urgents, comme en témoignent aujourd’hui nos voisins des Docks Libres.
La gestion de l’ASL peut aussi avoir d’importantes répercussions sur la copropriété et il est préférable que des représentants des copropriétaires individuels y prennent part plutôt que d’en laisser la maîtrise complète aux syndics et aux bailleurs.
Les forces en présence
Le permis de construire accordé et purgé de tout recours, les promoteurs vont publier le règlement de copropriété dans lequel sont indiquées les parts (dites « tantièmes ») détenues par chacun des propriétaires.
Selon la structuration de la copropriété, soit les acheteurs « en bloc » vont faire partie de la copropriété au même titre que les copropriétaires individuels, soit ils vont gérer séparément les bâtiments ou locaux qui leur appartiennent et être simplement membres du syndicat de l’ASL. Cette dernière solution a leur préférence et certains refusent d’ailleurs d’acheter dans un ensemble immobilier où il leur serait fait obligation de faire partie d’une copropriété unique.
Le saviez-vous ?
Les règles de vote en assemblée générale :
Les règles du vote en copropriété sont définies par la loi de juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Ces règles diffèrent selon la nature des questions mises à l’ordre du jour.
Les majorités les plus courantes sont :
– La majorité absolue (dite article 25), qui correspond à la majorité des voix de tous les copropriétaires de l’immeuble (présents, ayant voté par correspondance, représentés, absents).
– La majorité simple (dite article 24), qui correspond à la majorité des voix exprimées des copropriétaires présents ou représentés ainsi que de ceux ayant voté par correspondance.
Dans certains cas (dits article 25-1) — dont l’élection du syndic — il est possible de faire revoter immédiatement à la majorité simple une résolution d’abord présentée à la majorité absolue, mais seulement si cette dernière a recueilli plus de 33,33 % des voix de l’ensemble des copropriétaires au premier tour.
Si les votes en assemblée générale d’ASL se font généralement en fonction des parts détenues par chacun, il existe une subtilité, et de taille, pour les votes dans une assemblée générale de copropriété unique. Dans cette dernière, lorsqu’un investisseur/bailleur institutionnel vote, il apporte l’ensemble de ses tantièmes, alors que lorsque des copropriétaires individuels votent, ils n’apportent que leurs propres tantièmes, et éventuellement ceux des copropriétaires qui leur ont donné procuration. Et nous verrons que les agences immobilières gestionnaires des appartements en location privée peuvent elles aussi faire pencher la balance. Au final, le pourcentage des copropriétaires individuels votant étant chez nous d’environ 50 %, il est dans les faits difficile, voire impossible, d’obtenir plus de 33,33 % du total des voix des copropriétaires individuels favorables à une résolution au premier tour. Les investisseurs/bailleurs institutionnels savent donc qu’ils achètent dans une résidence où quasiment rien ne pourra être voté sans leur approbation. C’est là le premier volet du système, mais bien sûr pas le dernier.
Les surprises ne font que commencer…
4 réponses sur « En bandes organisées (1/3) Les forces en présence »
Très instructif!
Un grand merci de nous éclairer ainsi!
Super travail de recherches et grand merci pour ta publication.
Merci pour l’analyse de ce “maquis “juridico-politique.
On y voit un peu plus clair même si nous ne disposons pas de moyens pour nous défendre
On n’a pas d’argent mais on a quand même un cerveau et des personnes compétentes pour nous conseiller. Il s’agit “juste” d’arriver à recentrer les objectifs de tous sur l’intérêt commun 🙂