Si la pollution des bateaux de croisière tient le haut du pavé dans le sujet ville-port marseillais, elle n’est certainement pas le seul point de crispation entre la ville et « son » port. Vus côté mer, les bassins Est fascinent le public, moi compris. Mais les longer à pied côté ville (ou du moins essayer) produit un tout autre effet.
Dans ma vie de communicante et de médiatrice en urbanisme, certaines commandes ont davantage des airs de challenge que d’autres. « Nous voudrions travailler sur la relation complexe du port avec la ville et ses habitants. C’est une manière de regarder les projets de transformation d’Euroméditerranée, les enjeux d’accès limité à la mer et au port, les questions de pollution… » me demandait ainsi une grande école dans le cadre d’un de leurs voyages d’étudiants internationaux début 2022. Tout ça en trois heures de balade.
D’où tu parles ?
La difficulté d’un tel programme, ce n’est pas tant de définir un parcours et de condenser les informations sur les points incontournables à aborder en route (histoire, territoires, aménagement, environnement, réalisations, projets, « Dialogue Ville-Port », questionnements… ) que d’éviter d’exprimer mon ressenti sur la question ville-portuaire comme si c’était celui du plus grand nombre.
Parce qu’entre moi qui vit au sud d’Arenc et quelqu’un qui vit à la Calade, à Saint-André, à Saint-Henri ou à l’Estaque, il doit y avoir à peu près zéro expérience commune du sujet.
Si les installations industrielles et portuaires où qu’elles soient me fascinent depuis toujours, vivre le nez dessus et au beau milieu de ce qu’elles génèrent de nuisances et de destruction de l’environnement au sens large viendrait ainsi sans doute à bout de mon émerveillement. Il suffit d’essayer de marcher de l’Estaque au J4/Mucem /Cosquer Méditerranée en longeant les limites du port au plus près : passé la sortie de l’Estaque, plus d’accès à la mer jusqu’au J4, et souvent plus de vue dessus non plus. Les zones marchables elles aussi sont rares jusqu’au Silo d’Arenc. Coincée entre les « barrages » divers et variés à ma droite et les camions qui me frôlent à ma gauche, je cesse de temps en temps de regarder où je mets les pieds pour lever le nez vers les noyaux villageois : certains me font penser à des bastions assiégés.
Ruptures
Pourquoi de telles ruptures en chemin aujourd’hui encore ?
Un des éléments de compréhension est la manière dont le Grand port maritime de Marseille (GPMM) a scindé ses bassins Est en trois secteurs : nord, centre et sud. Et oui, j’ai bien dit « ses» bassins Est : le GPMM ce n’est pas la Ville mais l’Etat, et il a de surcroît une mission d’aménageur.
L’autre est que cette segmentation s’est accompagnée d’un abandon par les collectivités de l’aménagement côté ville sur le Secteur centre, qui est aussi le coeur de l’activité industrialo-portuaire. Comme un goût de double peine.
S’il reste encore beaucoup de questions en suspens sur le secteur qui s’étend de l’Estaque au port de pêche de Saumaty dit « Secteur nord » — en particulier sur son occupation et son aménagement au nord — il fait comme le « Secteur sud » l’objet d’une relative ouverture du GPMM quant au développement de ses usages.
Un des trois volets de la « Saison 2 » du Dialogue Ville-Port lui a été consacré, avec à ce jour des propositions concrètes d’aménagements et nombre d’attentes en terme d’accès du public à la mer. Elles concernent notamment des espaces que le GPMM loue temporairement à des acteurs privés et associatifs, dont on pourrait souhaiter qu’ils soient davantage attractifs et accessibles à tout un chacun.
Le « Secteur centre » (de la Forme 10 au bassin d’Arenc) reste quant à lui le périmètre de référence du GPMM pour développer son activité économique sur les bassins Est, comme clairement rappelé lors des découvertes du port que le GPMM organise pour le grand public et énoncé dans sa stratégie pour ce secteur* :
- Accompagner les activités industrialo-portuaires et la polyvalence des trafics sur les bassins est (fret / PAX, vrac / RORO / conteneurs)
- Se mettre en capacité d’anticiper et d’accompagner les stratégies de croissance des clients en Méditerranée et au nord de l’Europe.
* Présentation du projet stratégique du GPMM dans le cadre du Dialogue Ville-Port, mai 2021
Sur cette zone, il ne s’agit donc plus pour les riverains de rêver de faire s’envoler le trafic de marchandises et de passagers et les implantations logistiques et industrielles dans un « ailleurs » hypothétique, mais plutôt de négocier ce qui peut l’être. Généralement d’accord sur l’importance de préserver l’activité et en outre bien conscients du faible pouvoir des collectivités face au GPMM, ces habitants n’en sont pas pour autant prêts à laisser leur environnement continuer à se dégrader.
Rattrapé par la patrouille et par les actions d’un certain nombre d’associations, le GPMM leur a également consacré un des trois volets du Dialogue Ville-Port. Reste à voir si, au-delà des autres actions en cours, les propositions très concrètes issues de ces ateliers prendront forme là aussi autrement que sur le papier, et si tous les acteurs concernés (Région, Métropole, Département, Ville, SNCF…) suivront.
Le Secteur sud (du bassin d’Arenc au J4) marque la limite géographique nord d’une zone du port qui fait officiellement partie du périmètre Euroméditerranée, lui aussi aménageur. Les ferries Maroc et Tunisie ayant été renvoyés dans le Secteur centre au Cap Janet, de nouveaux projets de requalification doivent voir le jour, qui pourraient ouvrir davantage l’accès sur la mer aux habitants, comme cela a pu être le cas avec le J4.
Cheminer ensemble
Pour en revenir à ma balade, un de nos objectifs communs, quel que soit notre « secteur », pourrait être de pouvoir un jour cheminer à pied du nord de l’Estaque au J4 sur un parcours sinon touristique, du moins marchable. Amoureux de la mer dans tous ses états, fans d’industrie, de mémoires et d’histoires portuaires, marcheurs urbains et habitants d’ici ou de là pourraient ainsi a minima partager une vision moins parcellaire de cette lisière ville-port, loin de sa seule vitrine touristique ou du seul sujet de la croisière de masse.
Quant à mon groupe de 30 étudiants, ne leur ayant fait subir qu’une partie de la marche, ils en sont sortis vivants, et avec de quoi poursuivre leur travail. « Ce petit mail pour vous remercier pour la visite que vous avez menée pour nous. C’était très enrichissant, et pleinement dans ce que nous avions en tête, permettant d’avoir une vision à la fois d’une habitante engagée, une expérience sensible de la relation ville-port, et tout un tas d’éléments de réflexions et de contextualisation pour essayer de capter la complexité des rapports entre acteurs localement. »
Mission accomplie, mais la route reste longue et semée d’embûches, au propre comme au figuré.
Miramar, la parenthèse enchantée
L’activité portuaire ne se limite pas à la lisière ville-port. Parfois les containers grimpent jusque dans les collines. C’est pour les empêcher de détruire le terrain arboré de l’ancienne Villa Miramar léguée par Jules Cantini aux hospices de Marseille – mais cédés il y a dix ans par l’AP-HM à une entreprise privée – que des habitants et des associations locales se sont mobilisés.
Les négociations ne sont pas terminées mais le collectif « Sauvons Miramar » a déjà gagné une première manche : celle du classement au Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) de la partie menacée en espace vert protégé.
voir le parc Miramar sur la carte